
« J’habite rue du Tram. Dans mon jardin est entreposé un vieux rail, de cinq ou six mètres de long, qui est tout ce qu’il reste d’une ligne de tramway établie entre les deux guerres !
En 1939, l’armée ajouta un embranchement permettant de rejoindre la Station-Magasin du village, appelée localement ‘le Camp’. Construit durant la première guerre, ce camp logeait les soldats et alimentait les fronts Nord et Est en matériel et en pain. La nouvelle ligne passait à travers notre jardin, le coupant en deux. Un terre-plein dut donc être installé, afin de permettre à la famille de traverser les rails pour aller de l’autre côté du jardin, chercher de l’eau à la pompe, ou se rendre au village. Deux fois par jour, matin et soir, soldats et « gars de la boulange » passaient à bord du tramway, à travers le jardin, saluant la famille d’un geste de la main.
Il me semble que les histoires de cette ligne et de ce camp sont étroitement liées à celles de la région, du village et de ma famille. Lorsque les fours fonctionnaient et que le vent soufflait du sud, ma grand-mère qui travaillait dans les champs, plusieurs kilomètres de là, humait avec délectation les parfums des pains ronds et du café grillé qui envahissaient la plaine depuis le camp. Son voisin y travailla ; sur les photos, il porte une sorte de scaphandre, car il peignait au pistolet les équipements militaires. L’une de mes amies y passa son adolescence ; sa maison est toujours là, parmi les baraques qui formaient comme un petit village. Seuls les grands fours de briques rouges ont été détruits.
Récemment, le camp a fermé, et il a été vendu. C’est un colonel qui est venu en clore les portes ; il avait un respect pour l’Histoire, et voulait le fermer dignement. Il nous a offert la flamme qui était à l’entrée du camp, un monument qui avait été construit par les ouvriers eux-mêmes. Elle se dresse aujourd’hui à l’entrée du village ; je crois que ça l’a rendu heureux. »
(Ambronay, Ain, 01)


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