« Ce château, je m’y suis toujours intéressé. Un château est souvent emblématique de l’histoire d’un village – comme le serait une église. Ce fut un beau château ; avec ses tours plongeant dans des fossés inondés, il devait avoir quelque chose d’impressionnant – surtout qu’il fut bâti au fond d’une vallée, au pied d’une colline, d’où un donjon particulièrement haut. Les seigneurs qui s’y succédèrent jusqu’au 16ème siècle portaient le nom du village, et leur blason figure encore à plusieurs endroits de la commune. Mes ancêtres habitant le village depuis quatre siècles au moins, j’ai pour ce château un attachement fort ; mais l’endroit m’intéresse aussi pour le sort funeste qu’il connut à la Révolution. C’était un château important, la propriété d’un seigneur baron parmi les plus puissants de la région ; la bourgade était plus développée que les villages voisins, et y vivaient de nombreux notables. Mais la Grande Peur arriva ; alors qu’une partie de la population courait de village en village pour investir les châteaux et rançonner nobles et curés, le nôtre fut incendié. Il est écrit qu’il brûla longtemps ; le haut donjon disparut dans le brasier, le logis seigneurial et les archives aussi. À la fin, ne restèrent que les tours d’entrée et les bâtiments des communs, à usages domestiques et agricoles. Aujourd’hui, ce sont des lieux chargés d’histoire… D’une part, il y a la période antérieure à 1789 – que l’on fantasme nécessairement, l’histoire étant incomplète et trop de choses ayant disparu. D’autre part, il y a l’histoire singulière qui suivit, lorsque les communs du château abritèrent la gendarmerie, puis la cure, et aujourd’hui… une école ! L’épisode de l’incendie, beaucoup de gens le connaissent aujourd’hui ; il laisse un sentiment diffus de destruction, mêlé de déception lorsqu’on songe à ce qui a pu être. En naît un sentiment partagé : nous sommes dans un pays où l’on se souleva pour davantage de libertés, mais cela coûta au village des pertes irréparables. Au titre patrimonial, cela m’attriste, je l’avoue ; mais au titre de l’histoire de France, j’en suis fier ! »

(Lugny, Saône-et-Loire, 71)