« Comme son nom l’indique, le ‘Mur des Dames’ est un mur construit par des dames. Dans mon enfance, j’avais une voisine dont la belle-mère avait participé à sa construction, à l’âge de 15 ans. Autrefois, il y avait deux églises dans le village : celle du village et celle du prieuré. Quand les chanoines sont partis, leur église fut délaissée. Elle était alors couverte de grandes dalles de pierres plates, ici appelées lauzes ; très lourdes, elles pesaient sur la charpente, s’ajoutant l’hiver au poids de la neige. Une année, cela a fait éclater la voûte de l’église. La décision fut donc prise de déposer cette chape de pierres, et de la remplacer par des ardoises, plus légères. Il ne restait alors de l’ancien toit qu’un tas de lauzes. Le curé du village, qui venait du Massif Central, se désolait de ce gâchis de belles pierres. C’était l’époque de la guerre de 1870 : les hommes étaient absents. Le curé convoqua donc les femmes et les jeunes filles, afin qu’elles construisent un mur avec les pierres, le long de son jardin. C’était un long mur, de près de 50 mètres ! D’autant que les maçons à l’époque, au 19ème siècle, n’étaient habituellement que des hommes. Le curé ne participait pas ; il jouait un rôle de chef de chantier avec, selon ma voisine, un caractère très acariâtre. Il avait fait construire le mur selon une technique peu commune par ici, de sa région d’origine sans doute, avec les pierres posées verticalement. Cela surprend toujours les gens. J’imagine souvent ces femmes qu’on est un jour venu réquisitionner chez elles, travaillant en rangs serrés sous les ordres d’un curé. Aujourd’hui le mur qu’elles ont construit est toujours là. Le nom de ‘Mur des Dames’ est resté dans la mémoire collective. Ça n’est pas pour moi une page d’histoire abstraite : c’est au contraire très concret et très vivant ! »

(Ordonnaz, Ain, 01)