
« Ce n’est pas que je le trouve beau, mais j’aime sa simplicité et sa légèreté. C’est aussi sentimental : mon enfance a été rythmée par les trains à vapeur qui passaient sur cet ouvrage de fer et d’acier. Le viaduc enjambe le village, la route et la rivière. Le passage des trains faisait partie de la vie quotidienne. Un monstre d’acier sortait soudain du tunnel, dans un fracas assourdissant. On avait le temps d’agiter son mouchoir vers un membre de sa famille ou un ami qui faisait signe depuis la portière. Les enfants s’émerveillaient. Je me souviens encore de l’excitation de mes neveux, lorsqu’ils y sont montés pour la première fois ; aujourd’hui, après avoir fait de grands voyages en avion, ils se souviennent encore de ce voyage mythique là. Combien de fois ai-je emprunté cette ligne, pensionnaire collégienne, puis lycéenne, et plus tard encore ? Le viaduc servait aussi aux trains de charbon. Les deux chauffeurs-mécaniciens qui les conduisaient avaient de la famille dans le village : aussi, lorsqu’ils passaient sur le viaduc, ils lâchaient de la vapeur dans un sifflement strident selon des codes différents, reconnus par leurs familles en contrebas. C’était assez cocasse ! À la Libération, le Général de Gaulle a effectué un tour de France en train, accompagné du Sultan du Maroc. Le train est passé par mon village et s’est arrêté à la gare du village. Avec une camarade, nous avons remis des bouquets de fleurs aux deux personnages. Mes jambes étaient trop courtes, je tremblais, et j’ai dû me hisser pour atteindre la fenêtre. J’ai encore en esprit l’image du général s’encadrant dans la portière du train : trop grand, il se courbait légèrement. Je l’ai raconté, récemment, et mes amis m’ont reproché de ne l’avoir pas fait plus tôt. Mais c’est simplement qu’à l’époque ça ne les intéressait pas ; aujourd’hui, alors que le train ne passe plus et que l’ouvrage se rouille, c’est une image que je garderai toujours. »
(Vendes, Cantal, 15)


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