« Je chasse et je pêche régulièrement. Quand je me rends à la rivière, chaque mois, je passe près du moulin à eau. C’est une bâtisse en chaux, costaud, qui date du Moyen-Âge peut-être. Au début du siècle dernier, chaque village autour de Saint-Nectaire avait son four banal, et chacun y faisait son pain. Dans les années 40, sous l’Occupation, le moulin était en ruine, abandonné, et les gens du village ne pouvaient plus faire leur pain. Dix-sept familles du village, dont la mienne, ont alors décidé de se cotiser pour le rebâtir. Pouvoir moudre son blé, récolter sa propre farine et faire son pain était un joli projet en cette période de restriction. Chacun apporta du temps, des matériaux et de l’argent ; mais un boulanger eu vent de l’initiative et les dénonça aux autorités. Le moulin fut mis sous scellés. Heureusement, un villageois ingénieux trouva un moyen de le faire fonctionner sans détruire les scellés. Ainsi, durant toute l’Occupation, les villageois firent tourner le moulin en secret, deux fois par semaine, la nuit. Aujourd’hui, le moulin appartient toujours à 15 familles du village – les descendantes de celles de 1940. J’en fais partie. Depuis la destruction du four le moulin ne fonctionne plus, alors j’essaie de l’entretenir moi-même. Je suis menuisier de métier, et je fais tout mon possible pour entretenir la bâtisse, avec un copain maçon. La toiture est faite de pierres qui s’effritent ; j’aimerais la refaire. Pour ça, j’ai besoin de l’accord de toutes les familles ; mais certaines, des étrangers au village dont c’est la maison secondaire, ne veulent pas en entendre parler. Ça serait chouette pourtant : à 4 ou 5 villageois, pendant quelques jours, avec des casse-croûtes, le job serait fait facilement. C’est une histoire de moulin, et c’est une histoire de bien-être entre personnes de connaissance ! »

(Saint-Nectaire, Puy de Dôme, 63)