
« Cet arbre m’a toujours impressionnée. C’est un vieux tilleul, pas très haut mais large, au tronc épais et trapu. Près de ses racines, une petite stèle de pierre indique qu’il aurait été planté au 15ème siècle. Il se tient là, depuis six siècles, dans le village de mes grands-parents, où j’ai passé une partie de mon enfance, les soirs après l’école et pendant les vacances. L’été, la tradition voulait de faire un grand tour à pieds du village, en suivant un chemin de randonnée qui passait par le tilleul. À l’ombre de son épais feuillage, il offrait alors un refuge idéal où reprendre son souffle et méditer. Le tilleul était plus impressionnant encore lorsqu’il fleurissait ; son feuillage immense devenait comme une voilure et, enfant, on s’amusait à en attraper les fleurs qu’on lançait dans les airs comme de petits boomerangs. Tous les habitants du village ont ainsi des souvenirs de l’arbre, tel mon oncle qui aimait en grimper les branches. C’est un véritable emblème du village, au point qu’un chemin porte son nom. C’est aussi un arbre qui a vécu des péripéties historiques. Il était à l’origine voisin d’une grande ferme, disparue aujourd’hui. Au 17ème siècle, il échappa par miracle à l’incendie et au pillage du village ; au 18ème siècle, il fut foudroyé. Durant le premier conflit mondial, il sortit indemne des bombardements qui ravagèrent le village. Ainsi, c’est un arbre qui, au même titre que ses habitants, a vécu l’histoire du village. Il traversa également quelques événements climatiques, notamment des tempêtes. Entre les trois branches principales du tronc, le propriétaire de l’ancienne ferme avait planté un peuplier ; et, alors que le nouvel arrivant fut arraché par la tempête, le vieux tilleul survécu. Dans des temps perturbés comme ceux d’aujourd’hui, alors qu’on ignore ce demain promet et que tout semble sombre, les arbres et les monuments qui nous entourent depuis toujours, comme éternels, sont rassurants. Après six siècles, après la foudre, la guerre et la tempête, ce tilleul est toujours là, aussi fort et fleuri qu’hier. »
(Aubers, Nord, 59)


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